Jules
DANTAN, Chevalier de la Légion d'Honneur
Le Dimanche 5 Mai 1940, Jules DANTAN reçoit le grade de Chevalier de la Légion d'Honneur au titre de son dévouement et de son héroïsme pendant la première guerre mondiale, guerre pendant laquelle il fut amputé du bras droit. Il officiait dès 1915, dans le 1er bataillon du 120e régiment d'Infanterie de la 10e armée. Il recevra la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur sur la place communale de la Ferté Saint Samson.
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Ci-dessous un article de la presse locale, relatant cette cérémonie :
LA FERTÉ SAINT SAMSON
REMISE DE LA LÉGION D'HONNEUR
A M. DANTAN
Dimanche dernier eut lieu la remise de la Croix de chevalier de la
Légion d'honneur à M. Jules Dantan, grand mutilé de guerre, ancien combattant
de 1914-1918, père de douze enfants vivants.
M. Marcel Engrand, vice-président
de l'U.N.C. régionale, président des A.C. de Forges, chevalier de la Légion
d'honneur, qui devait remettre cette distinction s'étant rendu samedi dernier
à Montluçon pour plaider une cause avait écrit le même jour à M. Cagnard,
maire, que, devant rentrer très tard dans la nuit, il ne pourrait arriver que
par le train de onze heure 19 à Forges. Un ancien combattant l'attendait à la
gare avec son auto pour l'emmener aussi rapidement que possible sur la place de
La Ferté, pavoisée aux couleurs nationales.
A sa descente de voiture, il est
reçu par les autorités qui l'attendent, il leur fait le récit qu'en revenant
de Montluçon, se trouvant dans le train d'Aurillac-Paris, qui a déraillé près
de Bourges, par suite de l'effondrement d'un pont, il a été blessé aux jambes
et quoiqu'ayant été pansé comme il fallait, il boite légèrement.
Tambour et clairons sonnent le
rassemblement et rapidement, conseillers, pompiers, anciens combattants et les
enfants des écoles occupent la place qui leur est désignée et la cérémonie
commence.
La clique sonne au drapeau, celui
des anciens combattants et celui des pompiers prennent place chacun dans leur
groupe.
Face au récipiendaire, M. Marcel
Engrand prononce éloquemment le discours suivant:
Monsieur le
Maire,
Mesdames, Messieurs,
Mes chers
Amis,
Lorsque mon excellent ami,
Monsieur l'abbé Thérin, président du groupement des Combattants de La Ferté,
m'a demandé de prendre les lieu et place de notre camarade Dorchy, qui se
trouvait dans l'impossibilité de remettre sa croix au nouveau légionnaire,
j'ai accepté sans l'ombre d’une hésitation.
Dorchy avait été fait chevalier
par moi-même et c'était un peu si j'ose m'exprimer ainsi le prolongement du
lien qui m'unit à lui... et puis il m'était agréable de venir en "
voisin " vous redire l'attachement que j'éprouve, que nous éprouvons
" à la ville " pour nos camarades d'ici, avec lesquels nous nous réjouissons
de nous retrouver chaque année en mai, lorsque nos drapeaux se réunissaient
pour célébrer notre fraternelle amitié.
L'an dernier, je me souviens, c'était
à Blangy, après les discours professionnellement comme habituellement
optimistes de nos officiels, j'avais été appelé, je ne sais plus bien à quel
titre, à parler moi aussi devant le micro. Nous étions à huit mois de Munich,
j'avais rappelé les " engagements " de " Monsieur le Chancelier
Hitler " et j'avais dit devant plusieurs centaines de combattants assemblés,
que je ne croyais pas plus à la parole du maître du Reich, que je n'avais cru
naguère à celle de M. de Beethmann-Holweg, et à celle de Gustave Stressmann.
J'avais dit que la volonté d'hégémonie
non pas seulement de l'homme de Berchtesgaden, mais du peuple allemand tout
entier, restait totale, et marquant les fautes, marquant " nos "
fautes, accumulées pendant tant d'années, j'avais ajouté qu'il ne s'agissait
plus entre nous et eux que d'une question de force.
L'événement a parlé ! Bien naïfs
en effet, étaient ceux qui supposaient que le Boche allait s'arrêter, après
avoir mis en poche un papier de " compromis " qui au surplus, légitimait
presque ses violences, ses attentats et ses rapines ! Bien fous étaient ceux
qui pensaient que le mouvement qui portait une fois encore le germanisme ou le
nazisme - c'est tout un - en avant, allait s'arrêter parceque les grandes
puissances avaient entériné des accords favorables à l'éternelle Allemagne,
sous le signe de la faiblesse, de l'irrésolution et de renoncement !
Ah ! voyez-vous, mes chers Amis,
je suis de ceux qui pensent que pas plus pour les nations que pour les
individus, il n'y a d'avenir sans fermeté et sans tranquille et lucide courage
! Je suis aussi de ceux qui ne s'abusent pas et n'entendent pas abuser les
autres ! J'essaie de discuter sérieusement et humainement des choses humaines
et aussi paradoxal que cela puisse paraître pour l'avocat que je suis, je ne
crois pas à la vertu magique des mots dans la politique, et surtout dans la
politique internationale ! Je préfère aller aux faits et les regarder en face,
ce qui me permet de " penser " aux moyens de prémunir mon pays contre
les dangers qu'il peut courir.
Et au moment où je prononce ce
quelques paroles, me reviennent à l'esprit celles que prononçait il y a près
de vingt-cinq années l'homme d'Etat illustre qui devait mener la France à la
Victoire :
C'était le 20 novembre 1917, le
pays venait de connaître de sombres jours, il allait en connaître de
redoutables. Georges Clemenceau fréquemment interrompu par des chiens d'assemblée,
avait lu cette admirable déclaration ministérielle que je voudrais revoir
affichée par les soins des grandes associations d'anciens combattants, sur tous
les murs des communes de France :
" Hélas, il y a eu des
crimes, des crimes contre la France qui appellent un prompt châtiment, nous
prenons devant vous, devant le Pays, l'engagement que justice sera faite suivant
la rigueur des lois. Ni considération de personnes, ni entraînement de
passions politiques ne nous détournerons du devoir, ni ne nous le feront dépasser
! Trop d'attentats se sont déjà soldés par un surplus de sang français, tous
les inculpés en conseil de guerre. Le soldat au prétoire, solidaire du soldat
au combat. Plus de campagnes pacifistes, plus de menaces allemandes, ni
trahisons, ni demi-trahison, nos armées ne seront pas prises entre deux feux.
La justice passe, le Pays connaître qu'il est défendu. "
Et comme le vieillard - solidaire
du soldat au combat - était interrompu par ceux qui lui reprochaient de manquer
d'idéal, le rude Vendéen s'écriait:
" Ah! je sais, nous vivons
dans un temps où le verbe a une grande puissance. Il y a beaucoup de grands
esprits même qui croient que le mot, que la parole, que le verbe a le don de
libérer. Non ! les mêmes mots sont discutés par l'humanité depuis qu'elle
existe. Le mot " droit ", le mot " justice ", le mot "
liberté ", ce sont des mots aussi vieux que l'homme. Vous croyez que la
formule de la Société des Nations peut tout résoudre ! La vérité, c'est que
beaucoup de penseurs, de philosophes, de députés, de sénateurs, d'hommes
politiques et de Français sont convaincus qu'il va arriver un miracle qui réalisera
la Société des Nations ! Je ne crois pas que la Société des Nations soit la
conclusion nécessaire de la guerre actuelle. Je vais vous dire une de mes
raisons, c'est que si demain vous me proposiez de faire entrer l'Allemagne dans
la Sociétés des Nations, je n'y consentirais pas. Vous m'offririez la garantie
d'une signature ? Allez donc demander aux Belges ce qu'ils pensent de la
signature de l'Allemagne ! Pour fonder une Société des Nations, il faut des
peuples capables de se libérer, c'est pourquoi vous êtes toujours obligés,
dans toutes vos hypothèses, de commencer par dire : " L'Allemagne elle-même
brisera le militarisme prussien ". Seulement voilà le terrible de
l'affaire, c'est qu'elle ne le brise pas, et qu'elle s'en fait l'instrument.
"
Or, mes chers Amis, l'Allemagne
devait entrer quelques années après à l'assemblée genévoise, je crois même
qu'au Conseil, elle devait obtenir par un accord unanime, le siège que la Norvège
- cruelle ironie des faits - devait à la demande de tous, lui abandonner.
Vous savez avec quel fracas, elle
devait en sortir ! Demandez maintenant aux Autrichiens, aux Tchèques, aux
Polonais, aux Danois, aux Norvégiens ce qu'il faut penser des " papiers
" de l'Allemagne, de la signature de l'Allemagne ? et n'avais-je pas
raison, la connaissant, de mettre en garde nos camarades assemblés, contre
cette volonté de domination et d'hégémonie dont je parlais tout à l'heure ?
Monsieur le Maire, Mesdames,
Messieurs, je m'en voudrais d'insister. L'homme qui est à mes côtés et qu'au
nom de Monsieur le Président de la République, je vais faire chevalier de la Légion
d'honneur, la connaît bien aussi !... les connaît bien aussi !...
Il les a combattus. Grièvement
blessé, il a été emmené prisonnier là-bas. Me faut-il ajouter que ce n'était
que parcequ'il était blessé qu'ils ont pu s'assurer de sa personne ! Voyez
plutôt !
" Le 29 octobre l915, a enlevé
de haute lutte trois lignes de tranchées allemandes et conserve son gain malgré
une violente contre-attaque. Le 17 septembre 1916, s'est porté avec la plus
grande bravoure sous un feu violent à l'attaque d'un village fortement défendu
et puissamment organisé. A enlevé le village, pris un canon, cinq
mitrailleuses et fait 170 prisonniers valides ".
Mais le 30 mai 1918, à
Grand-Rozoy, dans l'Aisne, il est touché par le feu des mitrailleuses
allemandes et c'est chez eux qu'il connaîtra l'affreuse mutilation dont pendant
plus de vingt ans, vous avez eu le spectacle avant que la croix de la Légion
d'honneur ne vienne le désigner encore à votre admiration.
Messieurs, je vous remercie de
m'avoir réservé un si cordial accueil. Tout à l'heure, nous allons nous
quitter. De ce coin de notre pays de Bray d'où nous apercevons, à perte de
vue, nos horizons familiers et cette campagne verte et paisible où les nôtres
travaillèrent et moururent, il faut que s'élève un serment qui sera tout à
la fois, un acte d'espérance en notre patrie et une résolution d'assurer son
destin ! Il n'y a pas, voyez-vous, de petits actes, pour les cœurs bien placés.
Vous avez devant vous, un homme qui s'est battu en brave pour que notre terre
soit sauvée. Il est pour nous tous, il est pour vous tous, enfants qui m'écoutez,
un grand exemple et si parfois au milieu de l'effroyable déchaînement de
forces qui s'opposent le découragement vous accable, si le doute vous étreint,
alors allez vers sa demeure, allez vers lui... regardez-le ! Il n’aura pas à
vous parler car vous comprendrez en le voyant qu’il a fait simplement son
devoir et que ce devoir, c'est toujours le nôtre, c’est toujours le vôtre,
pour que notre cher grand Pays poursuivre glorieusement ses magnifiques destinées.
Que cet exemple soit pour nous
tous une leçon de maîtrise de soi, une leçon de discipline, de cette
discipline que les hommes d'action plus que les autres doivent être capables de
s'imposer à eux-mêmes, avant de vouloir l'imposer aux autres et aussi une leçon
d'énergie de courage et de volonté !
Si cette leçon est entendue et
comprise… alors amis, qui m’écoutez, marchez résolument vers l'avenir,
l'union de toutes les âmes donnera à la France de demain une plus haute vie de
noblesse nationale !
Ce discours
est couvert d’applaudissements. M. Engrand donne lecture de la formule
sacramentelle, épingle la croix sur la poitrine du nouveau légionnaire, lui
donne l'accolade et lui remet son diplôme.
Signalons la présence de M. Désogère,
de Saumont-la-Poterie, ancien adjudant de M. Dantan, qui a tenu à assister à
la remise de sa décoration pour joindre ses félicitations à celles de M.
Engrand.
Immédiatement, les enfants des écoles
sous la direction de Mme Dupuy, entonnent « La Marseillaise », la
clique donne une aubade et M. Dantan prononça cette petite allocution :
« Mon cher Président,
« Les paroles élogieuses que vous venez de prononcer à mon égard
m’ont profondément touché.
En évoquant les glorieux
souvenirs de la lutte gigantesque que nous avons soutenue pendant quatre années
contre nos ennemis séculaires, plus nombreux que nous et dotés d’un armement
supérieur, il nous a fallu faire preuve de courage et d’endurance.
Nous avions confiance dans nos
grands chefs cette confiance n’a pas été déçue, puisqu’en 1918, ils nous
ont conduit à la victoire. Leur génie et leur ténacité ont eu raison des
moyens sauvages et révoltants qu’ils employèrent, et ils ont débarrassé le
sol de notre chère France des hordes germaniques qui, aujourd'hui encore,
veulent à tout prix, prendre leur revanche.
Je remercie M. le maire, les
conseillers municipaux et mes camarades du bureau des anciens combattants de la
guerre 1914-1918, d’avoir fait tout ce qu'ils ont pu pour donner à cette
imposante cérémonie tout l’éclat qu'elle comporte.
Cette journée, comptera parmi les
plus beaux jours de ma vie et j’en garderai, croyez-le bien, un fidèle et
inoubliable souvenir. »
M.
Marcel Engrand l’embrassa de nouveau et c'est le tour de M. Cagnard, maire qui
s'exprime ainsi:
« Au
nom de la Municipalité que je représente, je me fais l'interprète de tous
ceux qui assistent à la remise officielle de la Croix
de chevalier de la Légion d'honneur au camarade Jules Dantan, pour
remercier chaleureusement M. Marcel Engrand, légionnaire et président de la
société de Forges-les-Eaux, d’avoir bien voulu accepter et être venu de
Paris pour épingler cette belle décoration sur la poitrine du nouveau légionnaire,
distinction qui honorera le groupe auquel il appartient.
En d’autres temps, nous eussions
été plus nombreux, mais malheureusement l'état de guerre a réduit considérablement
les effectifs de tous les groupements.
Pour clore la cérémonie je
demande au sous-lieutenant de la subdivision des pompiers de vouloir bien faire
battre un ban en l’honneur du nouveau légionnaire et de M. Marcel Engrand,
son parrain.
Ces deux
allocutions sont également applaudies.
Puis, une fillette de l’école,
Agnès Verraës, s’avance vers le nouveau promu et d'une voix forte, lentement
et sur le ton qui convient, elle récite au nom de ses camarades, un compliment
sentimental qui est accueilli par de vifs applaudissements, et lui offre une
gerbe de fleurs.
M. Engrand la félicite, lui donne
un baiser et va féliciter aussitôt Mme l’institutrice de ses bonnes
inspirations et de la bonne tenue de ses élèves.
M. Cagnard prie les conseillers,
les pompiers, les anciens combattants, les membres de la famille de M. Dantan et
Désogère, de se rendre à la salle des fêtes où va être servi un vin
d’honneur.
Au moment voulu, M. Pégard Léon,
ancien maire, président d’honneur des anciens combattants invite les
assistants à lever leurs verres et à boire à la santé du nouveau promu et de
M. Engrand, son parrain.
Le nouveau légionnaire verse 150
francs pour être partagés par tiers entre la cantine scolaire, les pompiers et
les anciens combattants. M. Engrand en donne connaissance et le remercie de son
geste généreux.
La cérémonie est terminée et
l'on se sépare en se donnant rendez-vous l'après-midi pour la poule aux
dominos.